La réforme de la facturation électronique en France a connu un tournant majeur avec l’annonce, en octobre 2024, de l’abandon du développement du Portail Public de Facturation (PPF) par l’État. Cette décision, qui modifie en profondeur l’architecture du système de facturation, a des conséquences importantes pour les entreprises françaises.
Avant de comprendre les raisons de son abandon, il est nécessaire de revenir sur ce que devait être le Portail Public de Facturation. Conçu comme l’outil central de la future architecture de facturation électronique en France, il devait offrir une alternative publique et gratuite aux solutions privées.
Initialement, le Portail Public de Facturation (PPF) devait constituer le socle central de la réforme de la facturation électronique prévue par l’ordonnance n°2021-1190 du 15 septembre 2021. Il était censé permettre aux entreprises d'émettre, transmettre et recevoir des factures électroniques, gratuitement, tout en assurant la transmission des données à l'administration fiscale. Le PPF devait également remplacer Chorus Pro pour les factures adressées à l'administration (B2G), à partir de 2026.
Pensé comme un outil public et universel, il devait garantir l'égalité d'accès au service pour toutes les entreprises, quels que soient leur taille ou leur niveau de digitalisation.
Le PPF n'était pas qu'une simple plateforme. Il était également prévu qu’il joue le rôle de concentrateur des données de facturation (e-reporting), en lien direct avec la Direction Générale des Finances Publiques (DGFiP), ainsi que celui de gestionnaire de l'annuaire central pour l'acheminement des factures.
Ce double rôle en faisait un acteur technique, fiscal et stratégique au sein de l’infrastructure nationale de facturation électronique.
L’abandon du PPF ne s’est pas fait sur un coup de tête. Il résulte d’une stratégie de recentrage de l’action publique sur ses missions essentielles, avec une volonté d’adapter le dispositif aux réalités du terrain et à l’évolution du marché.
C’est en octobre 2024 que le ministère de l’Économie a officiellement annoncé l’abandon du développement du PPF en tant que plateforme de facturation, bien qu’il conserve ses fonctions de transmission des données à la DGFiP et de gestion de l’annuaire d’après IT for Business.
Ce changement de cap s’inscrit dans une volonté plus large de simplifier le paysage de la facturation électronique tout en tenant compte de l'évolution du marché et de l’arrivée de Laurent Saint-Martin comme ministre délégué au Budget. Ce dernier a préféré une approche plus pragmatique, misant sur les capacités du secteur privé plutôt que sur une solution publique à construire de toutes pièces.
L'une des principales justifications avancées par Bercy est la maturité du marché des plateformes de dématérialisation partenaires (PDP). Selon la DGFiP, plus de 70 acteurs avaient déjà entamé une procédure d’immatriculation au répertoire des PDP à l’automne 2024.
Ces plateformes privées proposent des services souvent plus adaptés, flexibles et évolutifs que ce que l’administration aurait pu développer dans les délais impartis. Elles permettent notamment l’émission, la réception, la conversion de formats et l’intégration directe aux ERP.
L’aspect stratégique n’est pas le seul en cause. Des contraintes techniques et économiques ont également pesé lourdement dans la balance. Retour sur les difficultés rencontrées par le projet.
Le développement du PPF a été confronté à des retards importants, notamment en raison de la complexité technique du projet et de la nécessité d'assurer une interopérabilité avec des centaines d’acteurs.
De plus, les coûts de développement et de maintenance d’une telle infrastructure centralisée auraient été très élevés. Maintenir deux systèmes parallèles (PPF + PDP) n'était ni pertinent ni viable à long terme.
Le choix a donc été fait de rationaliser les efforts, en laissant les PDP assurer le volet opérationnel, tandis que l’administration se concentre sur ses missions de contrôle et de supervision.
L’abandon du PPF en tant que plateforme de facturation permet à la DGFiP de focaliser ses ressources sur deux axes stratégiques :
Ce recentrage renforce la mission de régulation de l’État tout en laissant l’innovation et la compétition aux acteurs économiques.
La disparition du PPF comme plateforme d’émission pose de nouvelles contraintes pour les entreprises. Elle entraîne également une redéfinition des rôles dans le paysage de la facturation électronique français.
En l’absence de solution publique gratuite, toutes les entreprises devront choisir un prestataire privé immatriculé en tant que PDP, ou utiliser une plateforme partenaire de leur fournisseur. Cela représente un coût supplémentaire pour les TPE et PME, parfois peu digitalisées.
La Confédération des PME (CPME) a fait part de ses inquiétudes à ce sujet, craignant que les petites structures soient défavorisées.
La disparition du PPF comme opérateur technique a le mérite de clarifier les rôles. Désormais, seules les PDP assureront l’émission et la réception des factures. L’administration, elle, assure la collecte des données et le respect du cadre réglementaire.
Pour garantir la fiabilité du système, les PDP sont soumises à une procédure d’immatriculation stricte et à des audits périodiques par la DGFiP. Le modèle européen PEPPOL (Pan-European Public Procurement Online) est souvent cité comme référence pour assurer l’interopérabilité à l’échelle de l’UE.
Enfin, des mesures d’accompagnement devraient être mises en place pour aider les plus petites structures à choisir une PDP et se conformer aux nouvelles règles, sans rupture d'activité.